vendredi 25 juillet 2008

Cesnur

Cesnur
(Center for studies of new religions)

Instauration d’un droit de persécution?

Une réponse au rapport de la commission d’enquête sur les sectes

6 février 1996

Le rapport publié récemment (le 10 janvier 1996) par la commission d’enquête sur les sectes au Parlement français suscite une vive inquiétude parmi les spécialistes des nouveaux mouvements religieux du monde entier. Pour résumer, le rapport présente de façon incorrecte et simplifiée un phénomène complexe et pourrait facilement instaurer un droit de persécution, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays, à cause du rôle leader de la France au plan culturel en Europe et dans le reste du monde. Dans ce rapport, les problèmes apparaissent dès les premières pages où il est fait référence de façon répétée au problème des « sectes » (mot péjoratif utilisé en France équivalent à l’Anglais « cults ») et aux dangers des « sectes » (établissant une analogie entre sectes et sida ou drogues) plutôt que de se situer dans une perspective objective et globale de l’évolution de la place du phénomène religieux en terme de pluralisme religieux, perspective qui permet d’appréhender la controverse publique au sujet des nouveaux mouvements religieux de façon plus fructueuse. Ce recul est indispensable à tout corps gouvernemental avant que celui-ci ne puisse s’assigner à lui-même la tâche d’établir une ligne de conduite sur un sujet qui affecte le bien-être d’un si grand nombre de ses citoyens.

Tout en ignorant les vingt dernières années de recherche sur les nouveaux mouvements religieux menées par une pléthore de spécialistes à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. La commission a apparemment pris la plupart de ses informations auprès de diverses organisations anti-sectes telles que l’ADFI /UNADFI et le CCMM appartenant toutes à un réseau international anti-sectes bien connu. Ces groupes ont multiplié les publications de travaux non scientifiques basés sur ces préjugés et dans les dix dernières années leurs observations ont systématiquement été jugées sans valeur par les tribunaux d’Amérique du Nord et du Royaume Uni.

La définition même de secte est non scientifique, inacceptable et fondée sur des préjugés. Une « secte » est définie comme un mouvement religieux simplement soupçonné de l’un des faits suivants : déstabilisation mentale, caractère exhorbitiant des exigences financières, rupture induite avec l’environnement d’origine, atteinte à l’intégrité physique, embrigadement des enfants, discours plus ou moins anti-social, troubles à l’ordre public, importance des démêlés judiciaires, détournement des circuits économiques traditionnels et tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

Cette définition de « secte » n’est guère plus qu’un fourre-tout des accusations portées par le mouvement anti-sectes (et fait peu de distinctions entre les accusations et la vérification des faits basés sur une étude de la situation) et tient beaucoup plus du préjugé populaire que d’une observation et d’une évaluation objective des différents mouvements religieux mentionnés dans le document.

De plus, l’utilisation du terme « secte » est inconstant au cours du document qui, par exemple, fait observer que « les plus grandes religions contemporaines ne furent souvent, à leur début, que des sectes ». Cela signifie-t-il que le christianisme a été établi en pratiquant « la manipulation mentale » et « l’embrigadement des enfants », ou que le judaïsme s’est développé à partir d’une tradition « d’atteinte à l’intégrité physique » et de « troubles à l’ordre public » ? Néron avait-il raison de persécuter la « secte » des chrétiens pour trouble à la paix ou pour corruption d’enfants ? L’église catholique romaine doit-elle être jugée négativement parce qu’elle a eu d’importants problèmes avec les tribunaux dans certains pays, quel qu’aient été les résultats des procès ?

Le rapport note également que quelques « sectes » (ou mouvements couramment appelés sectes) ne sont pas dangereuses, par exemple les baptistes, les quakers et les mormons. Cependant, les mormons apparaissent sur la liste des « sectes » établie en 1993 par l’ADFI et contenue dans le rapport. Si les « sectes » sont définies comme ci-dessus, comment pourraient-elles être non-dangereuses ? Le président des Etats-Unis (un baptiste) est-il vraiment membre d’une « secte »même si elle appartient heureusement au petit nombre considéré comme non-dangereuse ? La seule définition opérationnelle d’une « secte » pour la commission semble être tout groupe faisant l’objet d’une attaque de l’UNADFI, avec la liste des attributs servant simplement de mauvais prétexte pour une approbation publique officielle.

Bien que le document fasse l’éloge des services de renseignements français (renseignements généraux) pour le travail ayant permis de dresser la carte des « sectes « en France, bon nombre de déclarations faites à propos des nouveaux mouvements religieux sont criantes de faussetés ou confirment carrément au ridicule.
Voici quelques exemples parmi les plus frappants :
1 Les doctrines New Age « se fondent donc sur un millénarisme pour l’an 2000- le millénium est le règne de 1000 ans attendus avant le jour du jugement dernier. De toute évidence, la plupart des groupes New-age ne sont pas chrétiens et ne croient pas en un jugement dernier, et ne considèrent pas l’an 2000 comme une date importante.

2 La « secte » Moon est « très représentative des mouvements évangéliques purs ». Une telle définition constituerait une véritable offense pour tout chrétien évangélique ordinaire, étant donné la théologie très différente de l’église de l’unification. De plus, c’est une caricature poussée à l’extrême d’argumenter que pour créer la famille idéale, le révérant Moon « doit notamment acquérir une puissance économique qui lui permet de vaincre Satan ».

3 La Rose Croix d’Or (lectorium rosicrucianum) est classée parmi les groupes occultes, et définie entre autre comme engagée dans la nécromancie et le tirage des cartes -pratique en opposition complète avec les croyances et pratiques réelles du groupe.

4 La Wicca, groupe prônant l’affirmation de la vie et tourné vers la nature est définie comme un « groupe satanique » ainsi qualifié à cause de son attitude « élitiste, agressive et fréquemment raciste ». A l’évidence, le rapport confond la Wicca, qui pratique une éthique non agressive, avec le phénomène très différent du satanisme, confusion courante dans la littérature bon marché sur les groupes ésotériques.

5 A propos de la Famille, antérieurement connue comme les enfants de dieu, le rapport définit le « flirty fishing » comme « consistant à prostituer des enfants », alors qu en fait les enfants n’ont jamais été utilisés pour du « flirty fishing », pratique abandonnée par la Famille depuis 10 ans. Il rapporte également que chez les Enfants de dieu, « l’inceste était couramment pratiqué », observation basée uniquement sur le témoignage de Déborah Davis, fille du fondateur, qui a complètement coupé tout lien avec la Famille depuis près de 20 ans. Le rapport donne aussi, comme sorte d’information « nouvelle », et non encore confirmée, que « cette secte (les enfants de dieu), aurait été recréée sous une autre appellation, la Famille ». L’évolution des enfants de dieu vers la Famille est parfaitement connue de quiconque a lu n’importe quelle publication spécialisée dans ce sujet, littérature que manifestement la commission a complètement ignoré.

6 Les commentaires sur l’Eglise Universelle de Dieu, fondée par Herbert W. Armstrong, sont complètement dépassées et représentent les croyances et pratiques en cours du vivant de Armstrong, mais ignorent les changements radicaux apportés dans cette église dans les 10 dernières années.

7 La description de la structure de la religion Aumiste est particulièrement incorrecte, puisque le procès contre le fondateur est toujours en attente. Il est injuste de rapporter qu’il a été accusé de viol et d’abus sexuel sans également noter qu’il été accusé en 1994 et 1995 pour des actes prétendument accomplis plus de 10 ans auparavant, et de plus il a toujours catégoriquement nié ces charges.

8 La Soka gakkai est accusée d’ »infiltrer » le milieu politique. En fait, des membres de la Soka-gakkai ont out à fait publiquement promu un parti politique qui est bien représenté au Parlement japonais. Il n’y a eu aucune tentative de dissimuler cette association avec la Soka gakkai. Au même moment, ni en Amérique du Nord, ni en Europe, ces intérêts politiques japonais ne se sont manifestés. La différence n’est pas claire entre le soutien à un parti politique par un groupe bouddhiste tel que la Soka gakkai, et l’existence de parti démocrate chrétien inspiré des enseignements des églises catholique romaine et protestante et soutenu par par bon nombre d’organisations chrétiennes en Europe et en Amérique Latine, d’autre part.

9 Les Raéliens sont accusés de faire la « promotion de valeurs eugénistes », promotion difficile quand on considère que Rael encourage fortement les membres à ne pas avoir d’enfants du tout. Les membres engagés de la « structure » ont rarement des enfants, et les autres sont supposés se limiter à 2 enfants, du fait du problème de surpopulation de la planète. Aussi, loin de prêcher pour une « hiérarchie des races humaines », les raéliens mettent l’accent sur l’égalité entre les races et sur l’harmonie des 4 races (restant des 7 d’origine). Rael suggère que les membres de la race juive sont plus intelligents que les 6 autres, en tout cas, étant lui-même à demi juif, il ne peut pas être accusé d’anti sémitisme. Le rapport sous-entend aussi que la « géniocratie » est un sinistre plan fascite. En fait, il s’agit d’une vision utopique quelque peu enthousiaste dans la lignée de la République de Platon.

10 Le groupe catholique Tradition Famille Propriété (TFP) est appelé « pseudo catholique » et « secte » car il planifie de « restaurer la civilisation chrétienne, de lutter contre le socialisme et de rétablir la monarchie ». Même si l’on pense qu’il faudrait peut-être clarifier dans quel pays la TFP suggère de « rétablir la monarchie », on ne voit pas pourquoi ces objectifs devraient être considérés comme hérétiques ou incompatibles avec l’enseignement social catholique. S’il est vrai que les activités de TFP « en particulier sa campagne contre la réforme agraire au Brésil, mentionnée dans le rapport » ont déclenché l’opposition d’évêques catholiques localement, d’autres évêques et cardinaux de par le monde ont exprimé des éloges chaleureuses pour les activités de la TFP, en particulier à l’occasion de la récente mort du fondateur.

11 Les références à la religion de Scientologie prouvent que si un groupe a la malchance de se retrouver sur la « liste noire » alors rien de ce qu’il fait ne peut être reconnu comme bon, du point de vue de la commission. Les Scientologues, qui participent activement à la vie de la communauté, en accord avec leurs convictions e’affirmation de la Vie, sont critiqués car « il est particulièrement difficile pour ne pas dire impossible de définir un profil des adeptes (…) qui soit différent de celui de la population générale.. « et ainsi ne peuvent être aisément détectés. Les autres commentaires concernant la Scientologie sont soit inappropriés, soit périmés. En tout état de cause, le rapport montre vraiment un manque de compréhension du sujet. Le rapport a aussi complètement ignoré la reconnaissance de l’église de Scientologie comme une religion charitable par l’I.R.S. (internal revenu service : l’administration ficale) des Etats Unis d’Amérique en octobre 1993 après l’investigation la plus poussée ayant jamais été effectuée sur une organisation à but non lucratif par ce service. La Scientologie existe en France depuis les années 50 et a été reconnue comme une religion par une foule de décisions judiciaires et administratives (y compris certaines en France) et par des experts.

12 Dans la partie légale du rapport est mentionné « l’existence en Italie du délit de ‘piaggio’ ou ‘lavage de cerveau’ ». « Piaggio » est une marque bien connue de cyclomoteurs italiens. Le délit de « piaggio » ou « lavage de cerveau » a été créé par le régime fasciste et a été retiré du code pénal il y a de nombreuses années (en 1981) par la cour constitutionnelle comme contraire à la constitution italienne. Il faut également noter qu’au début des années 80, les spécialistes des sciences sociales ont examiné et soigneusement débattu du « lavage de cerveau » (ou « manipulation mentale » ou « contrôle mental ») en relation avec les nouveaux mouvements religieux et ont trouvé qu’il n’y avait aucune preuve scientifique acceptable de l’existence d’un tel phénomène. A la fois l’Américan Psychological Association et l’American Sociological Association ont adopté une position officielle à ce propos et le résultat a été que les tribunaux américains et britanniques, en principe et en pratique, ont exclu du processus légal tout témoignage d’expert concernant le « lavage de cerveau ».


Nous pourrions multiplier les exemples, mais la conclusion serait le même : la commission française a de toute évidence travaillé à partir de sources d’informations défectueuses et a complètement ignoré le large corps de matériaux écrits accumulés pendant les vingt dernières années à la fois sur les nouvelles religions en général et sur des groupes précis en particulier, spécialement ceux qui ont été au cœur d’une controverse publique. Par exemple, les tribunaux de plusieurs pays, y compris la France, ont dans les dernières années, regardé en détail la situation actuelle de la famille. Il faut se demander pourquoi les conclusions officielles et plutôt détaillées d’honorables juges ont été ignorées en faveur de témoignages éphémères qui se sont avérés remplis de tant d’erreurs ? Les membres des groupes mentionnés dans ce rapport sont d’autre part des citoyens français obéissants à la loi ; pourquoi les données de leur part ont-elles été si peu recherchées pour répondre aux accusations portées en privé contre eux ? En suivant une telle procédure, l’image présentée au public est celle d’une commission opérant comme un tribunal à huit clos qui a abordé son travail avec une animosité contre les « sectes » et déterminé à ignorer toute preuve contraire. Basé comme il l’est sur une utilisation non critique d’informations imparfaites fournies par les organisations anti sectes, il ne peut être re »connu comme un document bien informé.

Heureusement, le rapport n’appelle aucune législation anti secte supplémentaire. Cependant, son ton général et ses propositions traite ces citoyens français qui ont choisi de faire partie d’une nouvelle religion comme des citoyens de deuxième catégorie.
Plus inquiétant, il recommande un effort gouvernemental officiel de propagande en vue de dénoncer les nouveaux mouvements religieux et offre l’aval officiel du gouvernement à l’ADFI/UNADFI et autres organisations partisanes du même genre. Il recommande le renforcement sélectif d’une loi existante contre les nouvelles religions comme un moyen de décourager leurs membres et d’étouffer leurs activités : il note le petit nombre d’actions entreprises contre les « sectes » comparé au grand nombre de plaintes (un fait qui renvoie au manque de substance de la plupart des plaintes plutôt qu’à l’inaction des autorités légales).

Les possibilités d’action directement issues de ce rapport sont affligeantes pour toute personne défendant la cause de la liberté religieuse. Tandis que le nombre très limité de groupes religieux et d’individus coupables de crimes communs devrait sans aucun doute être poursuivi, le rapport aboutit finalement à une attaque violente contre des centaines de groupes religieux (dont les noms apparaissent sur ce qui revient à une liste noire) engagés dans une quête spirituelle ne désirant rien d’autre que le bien de tous. Basé sur les accusations de « témoins » anonymes il constitue un appel à la chasse aux sorcières contre l’innocent, un comble si on se souvient que la devise par laquelle la France aime à être représentée dans le monde entier est : « Liberté, égalité, fraternité ».

Signé :
· Massimo Introvigne- Directeur CESNUR, Turin, Italie.
· Susan Palmer Dawson College, Westmont, Quebec, Canada
· Catherine Wessinger, Loyola University, New Orleans, Louisiana- Directeur du groupe “Nouveaux Mouvements Religieux” de la American Academy of Religion.
· Start Wright Lamar University, Belmont, Texas
· Sherril Hulhern Université Paris 7
· Antoine Faivre Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris.
· J.Gordon Melton Directeur Institute for the study of American Religion, Santa Barbara, California, USA
· James T. Richardson, University of Nevada, Reno.